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Timothée Richard 16.12.20

Digital Fashion : au delà du vêtement physique

Décryptages

Dans une volonté de responsabilité et d’innovation par le digital, des startups proposent des collections 100% digitales. Les grandes marques entrent dans la course, et pourraient demain réinventer tant la façon de produire, que de consommer du vêtement.

Les designers et les marques de mode n’ont pas attendu que les nouvelles technologies de conception et de production se démocratisent, pour s’en emparer : c’est le cas d’Issey Miyake, Iris von Herpen, ou encore Ying Gao, qui a participé à mettre au goût du jour une tech sensorielle, ludique et participatif par le biais du vêtement mais cela restant relativement confidentiel.

A l’heure, où la question de l’efficacité de la chaine de valeur est posée, et la personnalisation une requête permanente côté client, les vêtements digitaux font à nouveau irruption – après une première apparition soulignée par designboom en 2016. Challengeant autant les métiers de demain que les modes de commercialisation traditionnels.

Avènement de la digital fashion

Au mois de novembre, la maison de couture The Fabricant a fait la une des médias à l’international. Sa robe digitale, évaluée à 9500 dollars aux enchères, a été cédée à une riche acquéreuse, Mary Ren, par le biais de son mari, pour son image sur les réseaux sociaux.

Dans un timing similaire, après une première collection vendue en un mois (Neo-Ex) en 2018 à des prix relativement bas, la startup scandinave Carlings continue sa marche en avant avec une deuxième collection cette année. Proposant au consommateur d’essayer ses produits à travers une photo, puis de l’ajuster à soi online avant de le poster sur instagram.

Les marques bien installées s’y mettent aussi et vont même parfois jusqu’à développer leurs propres outils et procédés innovants. A l’instar de Tommy Hilfiger, dont Vogue révèle qu’il rentre dans la danse du design 3D – de l’esquisse à l’échantillonnage, en passant par le showrooming -, et que dès 2021, tous ses vêtements ne seront pas produits physiquement avant leur vente.

A Londres, au cœur de cette mouvance qui prend une ampleur que peu d’experts avaient vu venir aussi rapidement, c’est l’ouverture de Hot:Second, le premier pop-up qui offre aux consommateurs la possibilité d’échanger leurs vêtements physiques contre des vêtements numériques. Une première, qui fait figure de prototype, de test et d’exploration mais qui n’est pas sans poser de plus larges questions sur l’avenir d’un tel prisme de commercialisation.

Du sur-mesure du côté des influenceurs digitaux

 D’un point de vue sociétal, cette arrivée pour le moins remarquée des vêtements digitaux coïncide avec la montée en puissance de nos réalités fragmentées – notamment dans le gaming et les réseaux sociaux. A l’heure où Lil Miquela (1.8 followers sur instagram), Noonoouri (330 000 followers) ou encore Shudu Gram (sollicitée par Balmain l’année dernière) battent des records d’adhérences, l’avatar est en train de montrer qu’il est une effigie particulièrement représentative de la gen z.

La célèbre application Génies et son slogan « Clone Yourself », qui a signé des partenariats B to B novateurs (notamment New Balance, et Gucci pour vêtir les avatars de ses utilisateurs), surfe à merveille sur le phénomène gamification. Comme Lil Miquela (propriété de la société Brud) étend ses collaborations avec les marques de PAP (ASOS, Calvin Klein) et depuis peu le monde du gaming par Fortnite.

Louis Vuitton, lui, se plonge aussi dans les eaux de la mode numérique. Cet été, la marque s’est associée à League of Legends pour designer une collection capsule de costumes pour les personnages conçue par Nicolas Ghesquière. Une stratégie de séduction particulièrement pertinente vis-à-vis des jeunes chinois qui représentent 90% des 8 millions de joueurs quotidiens.

Et preuve encore qu’il est de plus en plus difficile de créer des stratégies d’influence hors du gaming, Gucci est devenue le partenaire du jeu largement consommé Wanna Kicks, lui permettant de mettre en avant ses baskets Ace.

Demain, le phénomène devrait grandir, d’autant que la blockchain a l’avantage de protéger les créations en les rendant inimitables souligne l’écrivaine Brooke Robert-Islam dans un article pour Forbes au mois de mai.

From haute couture to digital couture ?

La mode pourrait-elle alors se passer des collections palpables? Se concentrer seulement sur la pensée ?

Si la production physique restera incontournable, plusieurs raisons prêtent à penser cette vague online avec ampleur. « Vous obtenez toujours un shoot d’endorphine » annonce la prospectiviste fashion Karinna Nobs aux marques qui voudront surfer sur ces perspectives créatives hors sol, comme une façon de renouveler l’expérience utilisateur.

Et difficile de lui donner tort quand des nouveaux venus comme Drest, une application dévoilée cet automne par Lucy Yeomans, ancienne rédactrice en chef au magazine Porter, qui vise d’ores et déjà a rapprocher le phénomène du grand public.

Par ailleurs, ces créations peuvent agir comme une réponse aux questions existentielles du secteur – sur les chaines d’approvisionnement et la surconsommation -, capables d’utiliser le rendu numérique pour créer des pièces à la demande. A la manière de la vague de détaillants qui avaient misés sur le « prêt à attendre » ces dernières années comme REUNI, Juste (dans l’univers beauté) ou dernièrement par des pure players comme Amazon avec son innovation « The Drop » permettant de mieux intégrer les achats en flux tendus.

À long terme, même si Vogue Business rappelle, à juste titre, que les designers d’aujourd’hui ne sont pas formés à la modélisation 3D, plusieurs logiciels comme CLO émergent pour démocratiser le sujet côté métier. Parallèlement, plusieurs observateurs comme Bunny Kiney, directeur de la rédaction de Dazed Media, s’accordent à dire que le phénomène est le fruit d’une volonté de raisonnement de la production, comme de faire émerger d’autres formes de créativité.

Un sujet déjà abordé par In Pursuit of Tactility (PMS Studio) à la Dutch Design Week, faisant lien entre digitalisation et mécanismes d’enrayement de la surconsommation, mais qui reste largement à explorer dans la décennie à venir pour réduire les invendus (évalués à plus de la moitié de la production globale de vêtements) tout en satisfaisant notre besoin de plaire sur les réseaux sociaux.

De la digitalisation des métiers à la digitalisation même des produits, la mode est loin d’avoir terminé sa révolution technologique.

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